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Pour les familles du charnier de l’université Descartes, « ne pas savoir peut être pire que savoir »

Habituellement, Agnès, 61 ans, évite de prendre la rue des Saints-Pères dans le VIe arrondissement de Paris où se trouve l’école de médecine Paris-Descartes. Il y a un an, cette Parisienne découvrait avec terreur le scandale du charnier qui y avait été découvert lors d’une enquête par l’Express. Conservés dans des conditions indignes, les restes de personnes – ayant fait don de leur corps à la science – étaient entassés, pourris. Membres empilés dans un congélateur de 9 m2 avec têtes, bras, jambes mélangés. Le père d’Agnès reposait dans ces mêmes locaux. Depuis, les images défilent: «Des corps entassés, le sien rongé par des souris, la tête coupée. Celles-ci « Visions d’horreur » sont de moins en moins présents aujourd’hui, mais une question demeure: qu’est-il arrivé au corps de son père?

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Vendredi matin, 7 des 107 membres de l’association Charnier Descartes Justice et Dignité pour les donateurs ont manifesté devant l’université, en nombre limité à cause du coronavirus. Avec leurs signes « Ministère, université: une année de silence et de lâcheté » et «Scandale d’Etat », les familles ne se sont pas offensées du silence de l’université. Et notamment son ancien directeur, Frédéric Dardel, président de Paris-Descartes de 2011 à 2019. Ce dernier a été entendu en garde à vue le 12 novembre, avant de repartir en liberté. Au total, ce vendredi, le parquet a confirmé compter environ 170 plaignants – contre X – dans cette affaire.

« Pas d’acquittement, pas de réponse »

« Cela ne va pas assez vite pour nous », est impatient Baudouin Auffret, 29 ans, président de l’association Charnier Descartes. L’année de la mobilisation n’a cependant pas été vaine: le 8 juillet, une enquête judiciaire a été ouverte par le parquet de Paris pour « Attaque contre l’intégrité du cadavre ». « Une première victoire » selon ce chef de projet informatique qui s’inquiète du sort du corps de son père, décédé subitement en 2017 à l’âge de 85 ans.

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Mais l’image s’assombrit rapidement. « Frédérique Vidal [ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, ndlr] n’a pas souhaité rendre public le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales dans son intégralité, regrette Baudouin Auffret. Nous n’en avons qu’un la synthèse, ce qui dénote des dysfonctionnements… Mais pas les responsables ».

Depuis un an, l’association essaie de parler à la direction de l’université pour essayer de comprendre ce qui s’est passé. D’abord avec Frédéric Dardel, président à l’époque des événements, qui n’aurait pas « Je n’ai jamais accepté de répondre aux familles ». Puis les choses changent avec Christine Clerici, présidente – depuis 2019 – de l’Université de Paris, fusion des universités Paris-Descartes et Paris-Diderot. Lors d’une rencontre avec l’association en février dernier «L’administration [assure aux proches] son plein soutien. Ils se sont engagés à nous donner accès à la consultation des dossiers.  » Les familles veulent notamment savoir à quoi ont servi les corps, quand leur incinération a eu lieu et quand les cendres ont été dispersées sur la place ad hoc du cimetière de Thiais (Val-de-Marne).

En réalité, les demandes n’ont pu être formulées qu’en juillet. « Une vingtaine de demandes ont été lancées via l’association », selon Baudouin Auffret. Mais plusieurs membres se seraient plaints dans leur groupe dédié WhatsApp de ne pas avoir reçu de dossier, ni même d’accusé de réception. Jusqu’au vendredi après-midi, lorsque deux plaignants auraient eu un premier retour.

Contacté par Libération, le porte-parole de l’Université de Paris, Pierre-Yves Clausse, assure qu’à l’heure actuelle, 566 demandes ont été déposées. «420 ont été traités et le reste est en cours. Chacun d’eux a fait l’objet d’un accusé de réception », il assure. « Des chiffres incroyables, rétorque David Artur vice-président de l’association Charnier Descartes. Comment peuvent-ils prétendre avoir reçu 570 demandes alors qu’il n’y a que 170 plaignants dans cette affaire! « 

Malgré le scandale, les manifestants présents rue des Saint-Pères vendredi ne remettent pas en cause l’utilité du don de corps. Ce cas « Est la responsabilité des hommes, pas celle de la médecine », dit David Artur. Les responsables « Ils ont essuyé leurs pieds sur le serment d’Hippocrate ». Pour éviter d’autres cas de ce type, Jean-Jacques, professeur de philosophie à la retraite, préconise la création d’une organisation nationale transparente de dons de corps, qui «Garanties aux familles».

Besoin d’un suivi psychologique

Plus immédiatement et collégialement, l’association aurait demandé à l’université, sans succès, « La prise en charge, en partie ou en totalité, des frais de soins psychologiques » familles traumatisées par l’affaire, raconte Baudouin Auffret. Selon lui, « Environ 10% des membres de l’association » seraient gravement touchés, victimes de troubles du sommeil, certains prenant même des antidépresseurs. Laurence Dézélée, vice-présidente de l’association, a parcouru un long chemin. Ce « Gros dormeur » un trouble de stress post-traumatique. « Je me réveillais toutes les deux heures la nuit, toujours en alerte ».

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En elle, le découragement a cédé la place à « colère ». Comme les autres manifestants, elle souhaite que les responsables soient retrouvés et condamnés. Elle aimerait également savoir ce qui est arrivé au corps de sa mère, décédée en 2015 à l’âge de 69 ans d’un cancer du pancréas. « Ne pas savoir peut être pire que savoir », conclut-elle.

En attendant des réponses, elle agit, « De peur que ça recommence ». Suite à ses conseils, son père a déchiré sa carte de donateur au Centre des dons corporels de l’Université Paris-Descartes. Pourtant, loin de lui l’idée d’arrêter sa démarche. Il ira à l’école de chirurgie rue du Fer-à-Moulin à Paris. « Là, nous avons l’assurance que son corps sera utilisé à des fins éducatives. »


Miren Garaicoechea

Delphine Perrault

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