« Docteur, j’ai peur pas possible »: un médecin généraliste face au Covid
« Vous ne l’avez pas, j’espère? » Dès l’entrée de Pierre-Louis Druais dans le pavillon, Ghislaine s’enquit de l’état de santé de son médecin. Se protéger du virus est la priorité absolue de l’octogénaire et de son mari Fortuné, qui consulte actuellement pour un mal de dos douloureux. Personnes infectées par le coronavirus, le médecin généraliste de Port-Marly, dans les Yvelines, n’en examinera aucun ce lundi.
Une coïncidence du calendrier déconcertant pour nous, qui avions décidé de suivre ce soignant à l’agenda bousculé par la reprise de l’épidémie. On se sent un peu comme le patient dont le mal de dents disparaît exactement une fois installé dans la salle d’attente du dentiste … Et pourtant, de visite en visite, ce « le » nommé Covid s’invite en arrière-plan, fantôme impossible à chasser. Elle est au cœur des discussions des patients, objet de leurs peurs, de leurs interrogations.
« Nous ne savons plus qui croire, qui écouter »
Le sujet est également écrit intégralement sur le post-it jaune tenu par Fortuné. Après sa cruralgie, il souhaite discuter avec son médecin des précautions à prendre avec la dame qui vient faire le ménage. « Est-il nécessaire de lui demander de porter un masque et des gants, docteur? » «J’ai peur pas possible», dit Ghislaine, restée à une distance de sécurité. Au fil des minutes, face au médecin qui les suit depuis quinze ans, les digues tombent: peur de sortir mais s’ennuyer à l’intérieur, souffrir de l’absence des petits-enfants autant que la peur de leur venue. Même le point suivant du post-it de Fortuné – la perte de quatre kilos en quelques semaines – trouve son écho dans l’épidémie. Le climat ambiant met son « moral dans les chaussettes » « et coupe l’appétit. Ghislaine, elle a du mal à s’endormir après avoir vu les médecins patauger sur les téléviseurs. » On ne sait plus qui croire, qui écouter « , dit-elle.
« De nombreux patients sont perdus »
Tous les patients que nous avons rencontrés tout au long de cette journée le disent spontanément: la cacophonie politique et médicale pèse sur eux et érode leur confiance. «En cette nouvelle année scolaire, on voit beaucoup de patients perdus», concède le médecin de famille «à l’ancienne» qui écoute plus qu’il ne parle et prend le temps de bien réagir. Oui, un câlin avec des enfants est possible « par la taille et le port du masque ». C’est à la table qu’il faut être le plus prudent. Et pourquoi ne pas préférer un bon film aux chaînes d’information 24h / 24?
Barbe bien taillée, yeux bleus dissimulés sous ses lunettes, Pierre-Louis Druais est bien connu dans le monde des médecins traitants. Dans le premier à avoir reçu le titre de «professeur», il fonde, en 2009, le Collège de médecine générale et officie à la Haute Autorité de Santé sur les parcours de soins. Il est également le seul médecin généraliste à faire partie du Conseil scientifique mis en place pour guider le gouvernement sur le Covid, sous la présidence de Jean-François Delfraissy.
S’il garde secrets leurs échanges, on sait qu’il a alerté sur les «autres» patients, ceux qui sont décédés à domicile et dont l’état de santé se détériorait. Trois à quatre fois par semaine, leurs réunions s’ajoutent aux journées de travail déjà chargées. Au plus fort de la crise, ils ont fait 17 heures – trop, surtout à 71 ans. Mais même au Port-Marly, en bord de Seine et à 20 km de Paris, trouver un successeur est un défi.
Le caducée volé parce qu’il permettait le mouvement
« Allez, revenons à mon Ferrari Dit-il, quittant Fortuné et Ghislaine. Comme une grosse voiture, une voiture rouge, deux portes. Sur le toit, un stylo bic remplace l’antenne qui a été volée ce week-end. Le caducée est bien protégé … son sésame en tant que médecin, chapardé à plusieurs reprises lors de la détention, car il permettait de se déplacer en toute liberté.
Chez Josette, 85 ans, il s’agit de cette opération pour une prothèse de hanche repoussée à cause de l’épidémie. Chez Anne-Marie, vaccination contre la grippe, doublement importante cette année pour éviter la cohabitation des deux virus. «C’est une dame très impliquée dans la vie de la ville», note-t-il en quittant l’appartement. Ce que j’explique à Anne-Marie, elle le rapportera à Henriette, qui le dira à Madame S. Cela crée une chaîne de santé publique », dit-il en se frottant les mains avec du gel hydroalcoolique.
De retour au centre de santé, il faut franchir la «barrière Covid», bricolée avec un épais plâtre adhésif pour limiter le nombre de personnes à l’intérieur. Corinne De Bortoli interpelle le professeur Druais. L’assistante avait encore de nombreux appels d’employés ou de parents pour des «certificats» de non contagiosité ou de «non-contre-indication au retour à l’école», demandés par les entreprises ou les écoles. «C’est toujours non», dit le médecin. Elle ne repose sur aucune recommandation », se souvient celui qui la connaît, d’autant plus qu’il a contribué à leur mise en place!
Dans la salle d’attente, les sièges ont été distancés, une salle spécifique est utilisée pour l’examen des personnes soupçonnées de Covid. Furieux que les médecins généralistes aient été « exclus » de la première vague, Pierre-Louis Druais entend bien marteler leur rôle « essentiel » dans la seconde. «Nous avons également rappelé un à un les patients qui avaient abandonné nos cabinets, pendant que nous y étions», souffle-t-il. Désormais, le mois de septembre est «rude», entre les rencontres habituelles, les Covid, les gens qui ont besoin d’être rassurés après cette période troublée.
« Nous allons entrer dans une période plus chaude »
Les consultations de l’après-midi commencent, portant une chasuble protectrice. Trente minutes minimum par patient. «Tout le monde a entre 2,2 et 2,7 problèmes à traiter, il faut leur laisser le temps de planter le décor», dit-il en livrant l’un de ses conseils: la consultation de la poignée de porte. «Parfois je me lève, je pose ma main dessus et c’est là que le patient dit: ah au fait, je ne vous l’ai pas dit… Là, on peut vraiment commencer. «
Après 43 ans de pratique, les familles se sont succédées de génération en génération, on peut entendre «vous» résonner dans la salle d’examen et discuter autour des petits-enfants de l’autre. C’est cette proximité qui lui permet d’avoir une conversation rompue avec Claudette, 78 ans et plusieurs facteurs de risque « que le Covid pourrait aimer ». «Vous devez marcher, faire de l’exercice», lui dit-il. J’insiste aujourd’hui car après je vous demanderai d’être encore plus vigilant et même de vous sceller en décembre et janvier. « Parce que le membre du conseil scientifique n’est pas très optimiste pour l’avenir: » Nous allons entrer dans un plus chaud, explique-t-il, à mon avis encore pire que mars-avril. Nous ne sommes plus dans une tornade mais dans un orage qui durera des semaines. Plus nous serons prêts, plus il sera facile d’y faire face. «
Lors de ses visites à domicile ou dans son cabinet, des blagues fusionnent entre le médecin et ses patients, mais aussi des réflexions plus profondes sur son métier ou sur la période extraordinaire.
– Oh, tu sais, la vie est une maladie sexuellement transmissible, mortelle à chaque fois.
– Ne vous inquiétez pas des gargouillis. Péter est très important. C’est bon pour la vie!
– (Après plusieurs visites aux personnes âgées) Nous avons la population de patients de son âge …
– Je suis un vieux médecin de campagne (Silence) sauf que je ne suis pas à la campagne.
– Le médecin généraliste est l’avocat du patient. Nous sommes là pour l’aider à progresser dans sa connaissance de sa maladie. Nous le soignons. Mais guérir est autre chose, qui appartient au patient.
– (En écrivant soigneusement) La prescription est la seule trace que je laisse de moi-même. Cela doit éclairer le patient, pas le confondre. Je m’applique systématiquement.
– Maintenant, nous avons l’équipement. Lors de la première vague, nous sommes allés nus et en sandales!
– Pour le Covid, nous sommes en colère contre les enfants et les lycéens qui ne présentent aucun symptôme. Savoir s’ils sont infectés repose sur le dépistage et non sur le diagnostic.