Covid-19: pourquoi un vaccin ne changera pas nécessairement la donne à court terme
SOLUTION MIRACLE? – L’annonce par quatre fabricants de vaccins Covid-19 de leur efficacité prouvée suscite un enthousiasme légitime dans le monde entier. Mais plusieurs paramètres invitent à ne pas s’emballer trop vite.
– Audrey LE GUELLEC
« Tant qu’il n’y a pas de vaccin …« Cette petite phrase, martelée ici et là pendant des mois, présente la date limite de vaccination contre Covid-19 comme la promesse d’un retour imminent à une vie » normale « . Une échéance que nous approchons un peu plus chaque jour, une seule un an après l’apparition de cette nouvelle maladie, grâce à une accélération totale des démarches de recherche, de production industrielle et d’évaluation, soutenue par des financements colossaux.
Sur le Vieux Continent, l’Agence européenne des médicaments (EMA) a ainsi indiqué lundi 23 novembre qu’elle pourrait approuver les premiers vaccins d’ici la fin de l’année ou début 2021. C’est le calendrier sur lequel ils sont calés plusieurs pays en exposant leurs plans ces derniers jours, comme l’Espagne, l’Italie ou la France. Les Etats-Unis, quant à eux, espèrent démarrer leur campagne de vaccination avant la mi-décembre, dès l’approbation de leur Drug Agency (FDA).
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Cependant, un certain nombre de paramètres suggèrent que la vaccination ne sera probablement pas la solution ultime que beaucoup attendent. Au moins à court terme. « Un vaccin complètera les autres outils dont nous disposons, ne les remplacera pas« , a également prévenu le patron de l’OMS, même si »la lumière au bout du tunnel brille maintenant plus fort« . Si nécessaire, nous devrons nous armer d’un peu plus de patience avant de retrouver le monde pré-Covid.
Pas de vaccin pour tout le monde tout de suite
Quelle que soit la date d’approbation du vaccin, tout le monde ne sera pas vacciné immédiatement. « Dans un premier temps, les quantités de vaccins seront limitées et la priorité sera donnée aux soignants, aux personnes âgées et aux autres catégories à risque.« , a également rappelé le chef de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus. Un autre enjeu majeur sera l’égalité d’accès aux vaccins entre les pays riches et pauvres. »Les vaccins ont été développés en cas d’urgence et la même urgence doit guider leur distribution équitable», a plaidé lundi le Dr Tedros.
L’Union européenne a déjà signé quatre contrats de préachat, avec les laboratoires Sanofi-GSK, Janssen / J & J, AstraZeneca et BioNTech-Pfizer, comme l’a confirmé la direction générale de la santé (DGS). « Chaque contrat européen est basé sur entre 200 et 300 millions de doses, dont la France peut prétendre à 15%, ce qui correspond à la part de sa population dans la population européenne.« , précise-t-elle. Dans son discours télévisé de mardi, le président de la République a précisé que »personnes fragiles et âgées« aura la possibilité de se faire vacciner en priorité. Dans un premier temps, la stratégie de vaccination promet d’être ciblée.
Un contexte de méfiance grandissante
Quelle que soit la date des premières vaccinations, reste également une question essentielle: quel soutien vont recevoir ces vaccins dans un contexte de méfiance croissante? Selon une étude publiée mi-octobre dans la revue britannique Science ouverte de la Royal Society, une part importante de la population de certains pays croit aux théories du complot sur Covid-19, qui augmentent la méfiance à l’égard de la vaccination. Par exemple, la fausse affirmation selon laquelle la pandémie « fait partie d’un plan pour imposer la vaccination mondiale » est considérée comme fiable par 22% des Mexicains interrogés pour cette étude.
Une enquête publiée début novembre par le Forum économique mondial et réalisée dans 15 pays montre même que la proportion de personnes prêtes à se faire vacciner a diminué par rapport à août. Seuls 73% sont d’accord avec l’énoncé « si un vaccin contre Covid-19 était disponible, je serais vacciné », contre 77% en août.
Quelle est l’efficacité et pour qui?
Autre partie de l’inconnu: l’efficacité en conditions réelles d’utilisation des différents vaccins mis sur le marché. Depuis le 9 novembre, quatre fabricants ont annoncé que leur vaccin était efficace: l’alliance américano-allemande Pfizer / BioNTech, le laboratoire américain Moderna, l’alliance britannique AstraZeneca / University of Oxford et les Russes de l’institut d’État Gamaleia. Cependant, ces données n’ont été révélées que par communiqué de presse, sans publication scientifique détaillée, l’efficacité ayant été mesurée en comparant le nombre de patients dans le groupe de volontaires vaccinés et dans le groupe ayant reçu un placebo. . Dans le détail, Pfizer / BioNTech revendique une efficacité de 95%: sur ses 170 patients, 8 provenaient du groupe vacciné et 162 du groupe placebo. Idem ou presque pour Moderna, avec une efficacité de 94,5% (5 patients dans le groupe vacciné, 90 dans le groupe placebo). Le vaccin russe Spoutnik V, quant à lui, affiche une efficacité de 91,4% sur ses 39 patients (et 95% sur un nombre indéterminé de patients). Le calcul est plus compliqué pour AstraZeneca / Oxford. Son efficacité moyenne est de 70%, si l’on combine les résultats de deux protocoles différents.
Autre question cruciale inhérente à l’efficacité: on ne sait pas si l’action de ces vaccins est identique dans les populations les plus à risque, à commencer par les personnes âgées, dont le système immunitaire est moins efficace. Ils sont beaucoup plus susceptibles d’avoir une forme sévère de Covid-19, il est donc essentiel qu’un vaccin fonctionne dans ce groupe de population. Il n’est pas non plus exclu, compte tenu de ce que nous savons du virus, que « l’évaluation de l’efficacité d’un vaccin contre Covid est différenciée en fonction du profil de population en raison des effets spécifiques observés chez les patients âgés ou chez les patients obèses», souligne Dominique Deplanque, professeur de pharmacologie médicale et directeur du Centre d’investigation clinique du CHU de Lille. « pour éviter tout risque, les autorités pourraient en effet décider que tel ou tel vaccin pourrait être administré à telle ou telle population et pas à une autre ».
… et sur le long terme?
La question la plus importante est celle de l’efficacité de ces vaccins sur le long terme, puisque les chiffres communiqués jusqu’à présent n’ont été calculés qu’une à deux semaines après la dernière injection. « Combien de temps durera la protection? Le virus mutera-t-il éventuellement pour échapper au vaccin, limitant ainsi l’efficacité de la vaccination? », résume un expert britannique, le Dr Penny Ward (King’s College London), cité par l’organisation Science Media Center (SMC).
« Nous devons nous mettre d’accord sur le critère de l’efficacité », détaille encore Dominique Deplanque, rappelant que « selon les études, il existe plusieurs niveaux d’efficacité« . Ça peut être »montrent une efficacité dès l’apparition de la maladie, elle-même« , en d’autres termes, vacciner un individu pour qu’il ne soit pas contaminé. Mais aussi, »en particulier dans les pathologies telles que la grippe ou Covid avec des degrés de gravité variables« , pour montrer une efficacité sur l’intensité des symptômes pour »réduire les formes sévèresEnfin, le but ultime d’un vaccin est directement lié à la propagation de la maladie.
Une «barrière» à la transmission?
Et justement, il reste à voir si ces vaccins imminents bloquent la transmission du virus, en plus de réduire la gravité de la maladie chez ceux qui les ont reçus. C’est un point essentiel pour arrêter la pandémie. « L’idée que l’immunité de la population induite par le vaccin permettra un retour à la normalité pré-Covid pourrait être basée sur des hypothèses illusoires« , affirment les virologues Malik Peiris et Gabriel M. Leung dans un article publié le 7 novembre dans The Lancet. Selon eux, si un vaccin peut protéger contre la maladie, »cela pourrait ne pas réduire la transmission de la même manièreEn d’autres termes, le vaccin sera sans aucun doute en mesure de protéger contre des symptômes plus aigus ou des formes sévères de Covid-19, mais il peut ne pas empêcher la contagiosité et donc la menace épidémique de continuer.
Sur ce point, d’autres experts estiment qu’AstraZeneca / Oxford pourrait avoir un avantage supplémentaire. « Contrairement à d’autres essais, l’équipe d’Oxford / AstraZeneca a testé tous les participants chaque semaine pour des infections asymptomatiques. », a commenté le professeur Eleanor Riley (Université d’Edimbourg), cité par le SMC. « Nous avons des indications précoces selon lesquelles ce vaccin pourrait réduire la transmission du virus, car une diminution des infections asymptomatiques a été observée », pour sa part a indiqué l’Université d’Oxford. Interrogé par l’AFP, AstraZeneca a précisé que la détection systématique des patients asymptomatiques ne concernait pas l’ensemble des 23 000 volontaires mais seulement une partie, sans révéler le chiffre exact.
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Qu’en est-il de la survenue d’effets secondaires dans des conditions réelles?
Enfin, si les tests n’ont révélé aucun effet secondaire significatif, un « contrôle continu » est nécessaire pour assurer « qu’il n’y a pas d’effets secondaires rares mais plus graves en cas d’utilisation à grande échelle », souligne le Dr Penny Ward, cité par le SMC.
« Le nombre de sujets traités par ce futur vaccin sera disproportionné par rapport à tout médicament mis sur le marché au cours des cinq dernières années », rappelle le professeur Dominique Deplanque. « C’est purement statistique, plus le nombre de sujets à recevoir le médicament est élevé, plus la probabilité de voir apparaître un effet grave et rare et dans le cas du vaccin contre le Covid, le chiffre peut devenir significatif » il fait remarquer, soulignant « la nécessité de rester très vigilant quant à la survenue éventuelle d’effets indésirables ». Selon lui, il est évident que ce paramètre conduira à un « une certaine prudence » autorités sanitaires lors de la procédure de validation, mais aussi ultérieurement, « en état réel d’utilisation ». Même si cela signifie remettre en cause la mise sur le marché.
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