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Quelle place ont les noms des rues et des statues dans la mémoire collective?

La plaque de la rue Grammont à Bordeaux a été modifiée pour mettre en contexte les actes de ce dernier – NICOLAS TUCAT / AFP

  • Réaffirmant son opposition au déboulonnage des statues, Emmanuel Macron s’est dit en faveur de nouveaux bâtiments et de nouveaux noms de rues avec des noms et des personnages historiques issus de la diversité.
  • Ce projet viserait à contribuer à une nouvelle mémoire collective englobant mieux la population française.
  • Mais une telle manœuvre aura-t-elle des résultats concrets?

Ce vendredi, dans son entretien avec Brut, Emmanuel Macron souhaitait que de nouvelles statues soient érigées et que certains
des rues être rebaptisé afin de mieux représenter les minorités, jusque-là très absentes des bâtiments en pierre ou des plaques de rue. Ce sont donc entre 300 et 500 noms qui devraient être sélectionnés par un comité d’historiens, afin de mieux représenter le panneau de l’histoire de France.

Le président s’est justifié en ces termes: «On m’a parfois traité de« brute épaisse »parce que j’étais contre le déboulonnage des statues. Je ne crois pas en Annuler culture, je ne crois pas à l’effacement de qui nous sommes. En revanche, ce qui est vrai, c’est qu’il y a toute une partie de notre histoire collective qui n’est pas représentée. « Le but avoué: recomposer »
une mémoire collective »S’adressant davantage à tous les Français, avec les noms de personnalités historiques noires ou arabes.

Mémoire passive du passé

Mais la mémoire collective est-elle vraiment influencée par les noms de rue et statues ? Pour Myriam Cottias, historienne du fait colonial et présidente du comité national de la mémoire et de l’histoire de l’esclavage, si l’impact symbolique est certain – et important -, «il sera loin de résoudre tous les problèmes. Cela doit s’accompagner de politiques beaucoup plus proactives pour résoudre les problèmes des minorités. « 

Sarah Gensburger, chercheuse en sciences politiques au CNRS, co-auteur de À quoi servent les politiques de mémoire? (Presses de Sciences Po, 2017), souligne qu’il existe relativement peu d’études concrètes sur la relation des personnes aux statues et aux noms de rue. Mais elle conseille de profiter de sa propre expérience: à quand remonte la dernière fois que vous vous êtes interrogé sur le nom d’une rue que vous ne connaissiez pas? Dans votre quartier, pouvez-vous lister les statues et dire où elles se trouvent et ce qu’elles représentent?

Engagez la mémoire par l’action

Cette expérience montre enfin le peu d’attachement réel que nous avons à ces noms et à ces bâtiments, car il s’agit de mémoire «passive»: elle est là mais ne nous amène pas à réfléchir. Myriam Cottias souligne ensuite l’importance d’une mémoire plus active et invitant à s’intéresser aux événements, en prenant l’exemple de Bordeaux ou Nantes, villes qui ont décidé de mettre en contexte les plaques sous certains noms de rues jugés problématiques (notamment les esclavagistes): «On ne peut pas se contenter de mettre un nom et penser que le travail de mémoire est fait, il faut avoir une démarche pédagogique, expliquer, soutenir , si nous voulons vraiment qu’il y ait une connaissance active. « 

Sarah Gensburger poursuit: «Ce qui est important c’est la relation active avec la mémoire, c’est la discussion, le débat, la réflexion qu’il va falloir décider de changer le nom d’une rue, plus que l’assiette finale. C’est ce débat actif qui peut nourrir la mémoire collective et la faire vivre. « 

Débat et discussion, une clé de voûte à ne pas manquer

Autant dire que l’idée d’une consultation fermée composée uniquement d’historiens ne fait pas trop vibrer le sociologue de la mémoire. Bordeaux est ici également prise en exemple, ville qui mène des consultations avec des historiens, mais aussi des citoyens et des associations. Il en va de même pour Paris, qui envisage activement de mettre plus de femmes ou de minorités visibles comme nom de rue. Elle ajoute à ce sujet:  » Les villes n’a pas attendu Emmanuel Macron pour mener ces réflexions. De plus, les noms de rue ne dépendent pas de l’autorité présidentielle mais relèvent du pouvoir municipal et sont décidés par les conseils municipaux des villes. « 

Et puis enfin, cette insertion de nouveaux noms, n’est-ce pas aussi pour éviter les débats sur la démystification des noms devenus problématiques? Mais empiler des noms plutôt que d’en supprimer certains peut avoir des effets négatifs. Sarah Gensburger: «C’est quelque chose de très français d’ajouter des couches de mémoire plutôt que de supprimer des parties déjà présentes ou de changer leur sens. Nous préférons avoir Colbert et Toussaint Louverture face à face en statue qui pense déboulonner le premier. Il suffit de voir que nous avons deux journées nationales en mémoire des soldats morts pendant la guerre d’Algérie (5 décembre et 19 mars), tant nous n’avons pas osé toucher la première lors de la création de la seconde. Cela donne une sorte de mille-feuille, et pour la construction d’un sens collectif, cela peut aussi être problématique. « 

Comment raconter l’histoire?

Et puis avoir des statues de Colbert et Louverture, pour prendre l’exemple, risque aussi de poser des problèmes de choix et de comparaison de lieux. Myriam Cottias met en garde contre le danger: «C’est une bonne chose d’avoir une statue de Toussaint Louverture, mais si c’est pour qu’elle se trouve dans le XVIII alors que Colbert continue de siéger devant l’Assemblée nationale, ça dit quelque chose aussi de notre vision de l’Histoire. Il faudra des lieux, des rues, des places ambitieux et symboliques. « 

Dernier point de contestation, cette façon d’écrire et de se souvenir de l’histoire avec de grands noms, même s’ils viennent de minorités, est-ce pertinent au 21e siècle? Sarah Gensburger conclut qu’au lieu d’ajouter constamment de nouveaux noms, nous devrions nous demander: «Qui est une personne importante, digne de la mémoire collective, et qu’en est-il des femmes, des modestes, des gens ordinaires? Qu’est-ce qui vous oblige à vous souvenir de quelqu’un? Qui peut être le visage de quelque chose de collectif? Quand on se souvient du coronavirus par exemple, ne serait-il pas plus pertinent de prendre la statue d’un caissier lambda que d’un ministre? « 

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Astor Abel

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