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«Nous ne sommes pas à l’abri de l’émergence d’autres coronavirus. »Entretien avec la virologue Anne Goffard

Alors que les laboratoires Pfizer et BioNTech viennent d’annoncer un vaccin efficace à 90%, Anne Goffard, professeur de virologie au CHU de Lille, et chercheur à l’Institut Pasteur, explique l’état des connaissances sur ce virus, encore méconnu. il y a dix mois.

Le SRAS-CoV-2, ou Covid-19, est un nouveau venu parmi les coronavirus. Où est-il dans cette famille?

Anne GoffardC’est une grande famille. Il y a beaucoup de coronavirus animaux, et probablement beaucoup que nous n’avons jamais étudiés. Les coronavirus sont classés en quatre groupes. Deux d’entre eux n’infectent que les oiseaux. À ce jour, nous n’avons jamais observé d’infection d’un mammifère par un coronavirus aviaire. Les deux autres se trouvent chez les mammifères, y compris les humains. Nous pouvons être infectés par sept coronavirus, qui sont médicalement séparés en deux groupes. Le premier comprend les coronavirus hautement pathogènes avec le SRAS-CoV-1, apparus en 2003-2004 en Chine, le MERS-Cov, qui circule depuis 2012 dans la péninsule arabique, et le SRAS-CoV-2, qui est apparu chez l’homme à fin 2019. Les quatre autres, peu pathogènes, provoquent très classiquement des rhumes et des infections nasopharyngées qui ne sont pas graves dans la grande majorité des cas.

Citation d'icôneSRAS-CoV-2 a infecté plusieurs millions de personnes tandis que le SRAS-CoV-1 n’a touché «que» 8 000.

Quelle est la particularité du SARS-CoV-2 par rapport aux deux autres coronavirus hautement pathogènes?

Anne Goffard Le SRAS-Cov-1 est une émergence qui a échoué: le virus est apparu chez l’homme en 2003, il a circulé puis en 2004, il a disparu. Nous ne l’avons pas revu depuis. Il est probablement retourné à son aquarium, bien que l’on ne sache pas lequel. Une autre différence est que le SRAS-Cov-1 avait une létalité d’environ 10%. Le SRAS-CoV-2 a probablement un taux de mortalité beaucoup plus faible. Mais même si ce taux est plus faible, il peut infecter une très grande proportion de personnes. Le SRAS-CoV-2 a infecté plusieurs millions de personnes tandis que le SRAS-CoV-1 n’en a touché «que» 8 000.

Qu’avons-nous appris depuis l’émergence de Covid-19? Avons-nous une idée de la manière dont le virus est passé aux humains? Nous savons que les chauves-souris jouent un rôle …

Anne Goffard Les chauves-souris, qui sont des mammifères, sont colonisées, c’est-à-dire qu’elles sont porteuses de virus dans leur corps mais n’en sont pas malades. Cependant, ils peuvent infecter d’autres animaux. Ils sont connus pour être porteurs de coronavirus, qui sont génétiquement proches du SRAS-CoV-2. Des études ont montré que, dans le génome de Covid-19, qui infecte les humains, les régions génétiques ont une forte homologie avec le génome d’un SRAS-CoV, qui a été isolé de certains pangolins asiatiques. Actuellement, trois scénarios sont débattus. Le virus aurait pu être transmis directement des chauves-souris aux humains. Ou alors, il serait passé de la chauve-souris au pangolin puis du pangolin à l’humain. Ou encore, de la chauve-souris au pangolin, puis du pangolin à un troisième intermédiaire; et ce serait ce lien qui aurait transmis le virus aux humains. Il semblerait que ce dernier scénario soit le plus probable, même si aujourd’hui, nous n’avons pas encore identifié l’hôte intermédiaire.

Citation d'icôneLa question est de savoir si ce sont les humains qui ont infecté les animaux ou si ce sont les animaux qui ont été infectés par d’autres animaux, qui infectent alors les humains.

Les autorités sanitaires danoises ont découvert une mutation de Sars-Cov-2 chez le vison et ont décidé de les abattre de peur que cela ne menace l’efficacité d’un futur vaccin. Comment le virus pourrait-il muter?

Anne Goffard Pour le moment, nous ne disposons d’aucune donnée scientifique sur les mutations décrites au Danemark. Depuis cet été, aux Pays-Bas, des études ont été menées pour décrire des cas groupés d’infections par le SRAS-CoV-2 chez des visons élevés dans des fermes. Ils montrent que les transmissions ne se sont pas faites de l’élevage à l’élevage mais qu’il s’agit bien d’introductions différentes du virus. Toute la question est de savoir si ce sont les humains qui ont infecté les animaux ou si ce sont les animaux qui ont été infectés par d’autres animaux, qui infectent alors les humains. La question reste ouverte. Cela dit, nous savons depuis mars qu’il existe des mutations dans le génome du SRAS-CoV-2. C’est l’un des processus évolutifs du virus. Depuis son émergence, il a déjà muté mais jusqu’à présent cela ne semblait pas avoir d’impact sur l’efficacité potentielle d’un vaccin.

Les laboratoires Pfizer et BioNtech ont indiqué avoir développé un vaccin efficace à 90%. À quoi le vaccin devrait-il s’attaquer dans Covid-19?

Anne Goffard Différentes stratégies sont possibles. Pour le moment, tous les essais vaccinaux portent sur la même glycoprotéine, la S-glycoprotéine, l’une des protéines qui composent l’enveloppe virale. Le test de laboratoire Pfizer consiste à injecter un fragment d’ARN viral (l’un des composants génétiques du virus – NDLR) qui code la S-glycoprotéine dans le but de faire produire des anticorps aux patients.

D’autres coronavirus pourraient-ils émerger à l’avenir?

Anne Goffard Nous ne sommes pas à l’abri. Ce sont des virus présents chez les animaux. Tant que nous continuons à empiéter sur les habitats des animaux sauvages ou tant que nous continuons à les trafiquer, nous sommes exposés à des risques de transmission. Si nous laissions la faune en paix, nous serions moins susceptibles d’être infectés par des virus.

Comment s’y préparer?

Anne Goffard Entre les pénuries de médicaments et de tests PCR au printemps dernier et la pénurie actuelle de vaccins contre la grippe, on se dit qu’il est encore étonnant qu’aujourd’hui, en Europe, nous n’ayons plus d’usines capables de produire des traitements. Et que nous ne sommes pas en mesure de coordonner la production et la distribution en fonction des besoins des pays. L’Allemagne, qui possède ses propres fabricants de réactifs PCR, a mieux résisté au début de la crise. Ce n’est certainement pas la seule explication, il y en a d’autres, et elles devront être étudiées une fois la crise passée. Mais il y a d’importantes questions d’économie de la santé auxquelles il faut répondre. On pourrait aussi envisager une coordination européenne sur les confinements et autres mesures sanitaires adoptées, mais c’est un choix politique.

Interview de Lola Scandella

Delphine Perrault

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