#MeToo en musique: la chanteuse d’opéra Chloé Briot enfreint la loi du silence
Y aura-t-il un jour avant et après Chloé Briot à l’opéra? Cette chanteuse d’opéra de 32 ans, qui vit entre Lyon (Rhône) et Bordeaux (Gironde), a porté plainte en mars pour harcèlement sexuel et agression contre un baryton, avec qui elle a partagé onze fois le rôle principal de septembre 2019 à février. 2020 dans le spectacle «l’Inondation», à l’Opéra-Comique (Paris IIe) puis à Rennes (Ille-et-Vilaine) et Nantes (Loire-Atlantique).
Le ministère de la Culture a estimé en mai que les accusations étaient suffisamment graves et les faits suffisamment graves pour les dénoncer au procureur de la République, qui a ouvert une enquête. Une première.
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Chloé Briot a décidé fin août de faire connaître son histoire pour sortir de son isolement et de sa liberté d’expression dans un environnement cadenassé par l’omerta. Après plusieurs conversations téléphoniques, elle accepte de nous rencontrer. Il devrait faire sombre. Elle est intelligente, souriante, à l’aise. «À l’opéra, je suis connue pour être une grande gueule, admet tout de suite la soprano. Un ami m’a avoué: Je n’ai jamais pensé que ça pourrait arriver à quelqu’un comme toi. »
« Juste avant la première, il lâche prise »
Chloe Briot ne s’attendait pas non plus à ce que cela se produise avec une chanteuse avec laquelle elle avait déjà travaillé. «Même si, dans un précédent spectacle, une fois, en pleine performance, il m’avait pris les fesses et mimait une levrette», raconte-t-elle. Cela m’a mis mal à l’aise, mais je me suis dit: Il a fait sauter une avance. Dans notre communauté, cela arrive souvent. «
Les deux artistes lyriques se sont rencontrés l’an dernier à l’Opéra-Comique pour incarner un couple marié dans «Inondation» de Joël Pommerat, avec deux scènes de sexe à simuler. «Deux scènes très codifiées et cadrées, pour qu’il n’y ait pas de dérapage. Mais dès les répétitions, mon agresseur – je ne veux pas le nommer, car je suis #MeToo, pas #BalanceTonPorc – me suggère devant tout le monde casser le cul sur la table. Je lui réponds: Et bien non, mais personne ne réagit. Juste avant la première, il lâche prise. Dans une scène, il se tient au-dessus de moi, écarte mes jambes, embrasse mes pieds… Et dans l’autre, il met sa main sur mon cou et me pétrit la poitrine sous ma nuisette. Nous sommes dans le noir, par derrière, personne ne peut voir. Je suis pétrifié. «
Pourquoi ne sonne-t-elle pas alors le signal d’alarme? «Je me suis demandé si ce n’était pas moi qui étais coincé, car cela ne choquait personne. Et là, je me retrouve deux jours avant la première et je ne peux plus arrêter la pièce. «
Coincée entre colère et culpabilité, elle « joue le robot », demande au réalisateur de « recadrer » son partenaire. Mais quand la pièce reprend, à Rennes, «il me pique à nouveau les seins, m’embrasse dans le cou. J’en parle à un nouvel assistant réalisateur et ça le fait rire. En maquillage, je dis fermement à mon agresseur: Tu arrêtes de me toucher. Il éclate de rire. «
« Isolé, à bout de souffle »
Refusant de quitter la troupe – «Ce n’est pas à la victime de partir» -, le chanteur alerte le directeur de l’opéra de Rennes. «Il me parle d’une charte pour éviter ces comportements, met en place un dispositif pour qu’on ne se croise pas, mais il ne rapporte pas les faits! Je dois envoyer trois mails en trois jours pour alerter Joël Pommerat (NDLR: qui ne suit pas la tournée) pour appeler mon agresseur. C’est payant. Il ne m’attaque plus mais il me déteste. Je suis isolé, essoufflé. «
L’émission devrait se dérouler jusqu’en 2024. Elle se rend compte que rien ne changera. «Alors je décide de porter plainte. À l’origine, je ne veux pas en faire la publicité. Jusqu’au jour où un autre directeur d’opéra a appelé ce que j’ai souffert comme petit problème… »
« Je sais que je risque de perdre mon travail »
Depuis mars, le directeur de l’Opéra-Comique, coproducteur, a décidé de ne pas renvoyer son agresseur présumé. Le chanteur a répondu début septembre au premier discours de Chloé Briot dans la Lettre du Musicien en déposant une plainte pour «dénonciation calomnieuse». «Notre client conteste ses accusations, ajoute Me Anna Branellec, l’une de ses avocats. À ce jour, il n’a été convoqué ni par la police ni par les tribunaux. «
Chloé Briot, elle mènera jusqu’au bout « ce combat nécessaire ». «Je reçois chaque jour des témoignages de femmes et d’hommes, certains allant jusqu’au viol», soupire-t-elle. Malheureusement, ils n’osent pas porter plainte. Une autre victime de mon agresseur m’a contacté pour témoigner puis s’est rétractée. Qui veut vivre ce que je vis? Cela me coûte cher, le chemin du jugement est très long, il y a des hauts et des bas, je témoigne peu car c’est lourd, je m’abstiens toujours de pleurnicher. Et puis je n’ai pas travaillé dur pendant dix ans pour être une victime… Mais je tiens bon parce que mon combat est juste. Je sais que je pourrais perdre du travail. J’ai entendu dire que j’étais suicidaire en faisant ça. Au contraire. Ma vie est plus importante que l’opéra. «