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« Le fantasme est de trouver l’équation ultime », déclare l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet

Tempête Starbirth, dans le Grand Nuage de Magellan, capturée depuis le télescope géant Hubble. – NASA | ESA / STScI / Images de couverture / SIPA

  • L’infiniment grand et l’infiniment petit sont deux «univers» régis par leurs propres lois physiques.
  • Depuis plusieurs décennies, les scientifiques tentent de «trouver l’équation ultime», permettant de marier la relativité d’Einstein et la physique quantique, explique Jean-Pierre Luminet.
  • L’astrophysicien évoque les différentes hypothèses qui tentent de répondre à cette énigme en L’écume de l’espace-temps (Editions Odile Jacob), en librairie ce jeudi.

Depuis la nuit des temps, les humains regardent les étoiles et s’interrogent. Comment les galaxies sont-elles nées? Quelle est la forme duunivers ? Les grands noms de la science ont tenté d’apporter des réponses à ces questions vertigineuses. Mais la physique fait face à une énigme : comment concilier l’infiniment grand et l’infiniment petit? «J’ai osé le pari de rendre moins anonyme le mystère vertigineux du monde qui nous entoure et nous fait», écrit
l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet.

A l’occasion de la sortie ce jeudi de son dernier livre, L’écume de l’espace-temps (éditions Odile Jacob), 20 minutes a demandé ce spécialiste en
trous noirs et certaines
cosmologie .

Jean-Pierre Luminet.

Vous vous en souvenez au début du livre: deux théories physiques nous permettent de comprendre notre univers. A l’échelle de «l’infiniment grand», des étoiles, des galaxies, c’est la relativité générale d’Albert Einstein qui s’applique. Comment pourrions-nous le résumer?

C’est une théorie de la gravité, qui régit l’univers à de très grandes échelles. Avant Einstein, la gravité était une force d’attraction universelle, découverte par Newton, responsable de la chute des corps, la fameuse pomme, et le mouvement des planètes.

Einstein fait de la gravité une manifestation de la courbure de l’espace-temps. L’espace n’est plus un cadre rigide, avec des forces intérieures qui relient les objets, comme dans Newton, mais un tissu élastique, qui se déforme par la masse des objets, en particulier les planètes. Et le mouvement des objets est en même temps dicté par les courbures de cet espace-temps. On peut l’imaginer comme les courbures que font les balles sur une feuille étirée, par exemple. Cette théorie a permis de prédire des choses inimaginables: ondes gravitationnelles,
le Big Bang, trous noirs.

À l’autre extrémité de l’échelle, nous avons la théorie quantique, qui décrit le comportement des atomes et des particules. Vous dites que ses principes «heurtent le bon sens». Pourquoi ?

Le monde des particules élémentaires obéit en fait aux lois quantiques, qui sont contre-intuitives. A l’échelle des particules, si par exemple vous souhaitez localiser un électron dans l’espace, vous aurez forcément une certaine incertitude sur sa vitesse, qui n’existe pas à notre échelle macroscopique. Cette principe incertain physiciens très ennuyés, en particulier Einstein.

De plus, la mécanique quantique est probabiliste: un objet n’est pas unique mais dans une superposition d’états en même temps. C’est le célèbre chat de Schrödinger : tant qu’il n’est pas mesuré, il est à la fois à l’état mort et vivant. Ces lois quantiques sont très différentes de celles qui s’appliquent dans notre monde observable, mais cette théorie est vérifiée expérimentalement avec une précision phénoménale.

Pourquoi voulez-vous réconcilier ces deux théories?

Pendant très longtemps, ces deux communautés de physiciens, relativistes et quantiques, ont travaillé seules, car il y a vraiment très peu de situations où il faut marier les deux théories. Mais nous avons réalisé que cette union était nécessaire pour faire face à la singularité du Big Bang [grâce aux équations d’Einstein, on peut remonter au temps 0 de l’univers, mais les lois décrivent alors une densité d’énergie et une température infinies, des absurdités physiques] ou comprendre ce qui se passe au centre des trous noirs. Dans ces exemples, nous devons traiter simultanément la gravité, la masse, l’énergie, mais dans un espace très petit, très dense, de sorte que l’univers est également quantique. Le mariage des deux théories devient donc nécessaire.

Dans votre livre, vous expliquez que plusieurs théories sont en cours pour tenter cette union, en particulier la théorie des cordes ou la gravitation quantique en boucle …

Dans les années 1960, nous pensions pouvoir réaliser cette union avec la théorie des cordes, qui part de la théorie quantique pour arriver à la gravité. Elle explique qu’au niveau le plus élémentaire, il existe des objets unidimensionnels appelés cordes, et que c’est la vibration de ces cordes qui définit, en quelque sorte, le type de particule. C’est une belle théorie mais l’un des problèmes est que cela ne fonctionne pas dans le cadre habituel de l’espace et du temps, et il faut ajouter des dimensions supplémentaires, jusqu’à 8 ou 9 …

La théorie de la boucle quantique est dans l’esprit de la relativité générale d’Einstein, qui géométrie l’espace-temps. Il propose de quantifier l’espace et le temps eux-mêmes. L’espace-temps ne serait donc pas continu mais composé d’atomes d’espace et de temps distincts, discontinus, liés entre eux comme un réseau de neurones. Mais cette théorie pose également des problèmes. Toutes ces pistes sont intéressantes intellectuellement, mais aucune ne s’est concrétisée aujourd’hui.

Si ces deux théories fonctionnent à leur échelle, pourquoi vouloir absolument les unifier?

Le fantasme du théoricien est de trouver l’équation ultime. Mais ce fantasme s’inspire également du passé, car l’histoire de la science montre que l’unification réussie de théories apparemment disparates est une forme naturelle de progression des connaissances et engendre une vision plus complète et plus de questions. fondamentale au fonctionnement de notre univers.

Une telle équation supposerait que l’univers lui-même est écrit en langage mathématique. On pourrait aussi penser que les mathématiques ne sont qu’un moyen trouvé par l’homme pour mieux expliquer la réalité physique. Qu’est-ce que tu penses ?

Les mathématiques sont un outil irremplaçable pour comprendre la réalité. Je pense que les mathématiques sont une forme de langage universel, qu’elles sont ancrées dans le tissu même de l’univers. Mais il faut d’autre part se débarrasser de l’idée usée, bien qu’attrayante, selon laquelle la beauté d’une théorie prouve sa véracité, que la beauté d’une formule mathématique serait la clé de l’unification.

Delphine Perrault

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