comment un virus d’origine animale parvient à provoquer des maladies chez l’homme
- Un virus doit savoir s’adapter pour s’épanouir au sein de son «hôte», selon une étude publiée par notre partenaire The Conversation.
- Pour ce faire, il procède à une modification de son tropisme cellulaire, c’est-à-dire à une mutation.
- L’analyse de ce processus a été réalisée par Jean-Christophe Avarre, chercheur en écologie virale, et Anne-Sophie Gosselin-Grenet, maître de conférences en virologie.
Comme nous le savons tous à l’heure actuelle, la population mondiale est sous le choc d’un nouveau virus provoquant une pandémie: le SRAS-CoV-2. Capable de se transmettre efficacement, ce virus a rapidement saturé les systèmes de santé non préparés à une telle menace. Par son apparition soudaine, ce nouveau virus est qualifié d ‘«émergent». En virologie, un virus émergent est un agent nouvellement observé dans une population donnée. D’origine animale, ce virus a déclenché une épidémie chez l’homme, comme c’est le cas pour d’autres virus (virus grippaux et
Virus Ebola par exemple). Ce phénomène, qui permet à un virus animal d’infecter et de se multiplier chez l’homme, est lié à un mécanisme appelé »
saut d’espèce ».
Qu’est-ce qu’un virus? Comment ça marche ?
Les virus sont des entités biologiques microscopiques largement répandues dans l’environnement qui jouent un rôle essentiel dans l’évolution et la régulation des populations des organismes qu’ils infectent.
Un virus est constitué d’un génome (son information génétique), une enveloppe protéique appelée capside, qui protège ce génome, et parfois une enveloppe. Un virus n’est pas capable de se multiplier indépendamment, il doit nécessairement infecter une cellule pour détourner les matières premières et les machines dont il a besoin pour fabriquer ses propres composants.
(UNE) Multiplication des virus dans la cellule « hôte » (B) Structure simplifiée du coronavirus SARS-CoV-2 et représentation de la protéine S essentielle à l’entrée du virus dans la cellule © DGIMI Université de Montpellier
Tropisme et spécificité des espèces: caractéristiques virales majeures
L’infection commence par la rencontre entre un virus et une cellule. Cette rencontre est initiée par des protéines à la surface du virus qui vont reconnaître une molécule cellulaire spécifique, appelée récepteur, exposée à la surface de la cellule. Cette reconnaissance, qui dépend de la quantité et du type de récepteurs présents sur la cellule, définit la sensibilité d’une cellule vis-à-vis d’un virus. Il est essentiel pour la fixation du virus puis pour sa pénétration dans la cellule. La multiplication du virus dépendra alors de la permissivité de la cellule, c’est-à-dire de sa capacité à permettre la fabrication de nouvelles particules virales.
Les deux paramètres, sensibilité et permissivité, définissent ainsi le tropisme cellulaire du virus, c’est-à-dire sa capacité à pénétrer et se multiplier préférentiellement dans un type particulier de cellules.
Les cellules d’un organisme ont leur propre sensibilité et permissivité à un virus, qui diffèrent également d’une espèce à l’autre. Le tropisme cellulaire du virus participe donc également au spectre hôte du virus, c’est-à-dire à la spécificité de l’espèce qu’il est capable d’infecter et dans laquelle il peut se multiplier. Ainsi, certains virus ont un large spectre d’hôtes, tandis que d’autres ne peuvent infecter qu’une seule espèce hôte.
La spécificité des espèces implique donc une barrière d’espèce qui empêche le passage des virus (et des pathogènes en général) d’une espèce à l’autre et donc la transmission inter-espèces des maladies virales associées. Cette barrière est multifactorielle, à la fois physico-chimique, moléculaire, métabolique et immunologique.
Traverser une barrière d’espèce menant à l’émergence virale
L’émergence virale peut se manifester de différentes manières: il peut s’agir d’une émergence sur un nouveau territoire, liée à un changement de l’aire de répartition du virus ou de son hôte, ou encore de l’émergence d’une maladie chez une nouvelle espèce hôte, liée à une modification structurelle du virus lui permettant de l’infecter.
Un grand nombre d’urgences virales résultent de la transmission de virus de l’animal à l’homme: on parle alors de zoonoses ou zoonoses, comme ce fut le cas avec le SIDA résultant du passage du virus du singe à l’homme, ou pour
SRAS 2003, suite à la transmission d’un coronavirus de chauve-souris à l’homme. Cette transmission inter-espèces, ou saut d’espèce, implique que le virus est capable de franchir la barrière des espèces.
Les différentes voies de transmission du virus entre l’animal et l’homme © DGIMI Université de Montpellier
Ce saut d’espèce nécessite un contact étroit entre une espèce animale infectée par un virus, alors qualifiée de réservoir, et l’homme. Le virus est généralement non pathogène pour le réservoir et leur cohabitation est ancienne. La multiplication virale est ainsi maintenue dans le réservoir et de nombreuses particules virales peuvent être produites en toute innocuité pour lui.
La transmission du virus du réservoir à l’homme se fait soit directement, notamment par ingestion d’aliments crus contaminés ou par morsure, soit indirectement par des vecteurs. Ces derniers sont souvent des arthropodes, comme les moustiques, qui transportent des virus entre différents hôtes lors de leurs repas de sang.
Dans la mesure où la cohabitation entre le virus et la nouvelle espèce hôte est récente, le saut d’espèce peut être à l’origine de l’émergence de maladies virales, comme c’est actuellement le cas avec Covid-19.
Comment l’espèce peut-elle sauter?
Pour qu’un saut d’espèce réussisse, le virus doit effectuer 4 étapes: être en contact avec la nouvelle espèce hôte (ici l’homme), infecter ses cellules et s’y multiplier, échapper aux défenses de cet hôte et transmettre dans la population de ce nouvel hôte .
Le contact est favorisé par la promiscuité accrue entre l’homme et l’animal, qui résulte notamment de l’expansion des métropoles, de la destruction des écosystèmes (déforestation) et du commerce illégal d’espèces sauvages.
La proximité n’est pas tout, le virus doit adopter quelques changements pour pouvoir persister à l’intérieur du nouvel hôte. En effet, le virus doit pouvoir adhérer à des récepteurs à la surface des cellules de son nouvel hôte pour y pénétrer, et s’y multiplier en détournant la machinerie cellulaire. Cette adaptabilité est en partie rendue possible par leur taux de mutation très élevé. Le mécanisme de multiplication du matériel génétique viral commet en effet de nombreuses erreurs qui ne sont pas corrigées par les systèmes de «relecture» communs aux êtres vivants. Ces mutations peuvent conduire à des changements structurels dans les protéines de surface du virus, lui permettant d’adhérer à de nouveaux types de cellules et altérant ainsi son tropisme cellulaire. Ces mutations peuvent également rendre le virus capable de se multiplier dans les cellules de la nouvelle espèce hôte.
Le virus, exposé aux défenses de l’hôte (son système immunitaire), devra également développer des stratégies de fuite. Pour ce faire, certains virus attaquent directement les cellules de défense de l’hôte, comme le VIH, d’autres se «cachent» en infectant des cellules non accessibles au système immunitaire, voire brouillent les signaux de danger entre les cellules de l’organisme hôte.
Enfin, pour se disséminer dans la population du nouvel hôte, le virus doit être transmis entre individus, via gouttelettes respiratoires, de sang, sexuellement ou simplement par contact direct entre individus. La stratégie et l’efficacité du mode de transmission définiront alors la capacité du virus à se propager et à rester dans la nouvelle espèce. Divers facteurs liés à l’hôte infecté peuvent également influencer l’efficacité de la transmission. Par exemple, une fois installé dans le nouvel hôte, le virus peut profiter de ses mouvements pour se propager. A travers les mouvements de populations humaines liés à la mondialisation, au commerce et aux voyages, le virus peut alors infecter des individus dans une autre région et ainsi étendre son aire de répartition. Si la propagation reste localisée, on parle d’épidémie, mais si elle se propage globalement, on parle alors de pandémie. Dans le cas où la transmission n’est pas possible entre les différents individus de l’espèce, on parle de transmission conduisant à une impasse épidémiologique.
Par son impact considérable sur l’environnement – déforestation, braconnage ou élevage intensif – couplé à une mondialisation sans cesse croissante, l’homme est devenu un acteur majeur de l’émergence de maladies virales, bien qu’il favorise les sauts d’espèces normalement accidentels. .
Cette analyse a été rédigée par les étudiants du Master 1 Interactions Microorganismes-Hôtes-Environnements de l’Université de Montpellier (promotion 2019-2020), encadrés par Jean-Christophe Avarre, chercheur en écologie virale à l’Institut de Recherche pour le Développement, et Anne -Sophie Gosselin-Grenet, maître de conférences en virologie à l’Université de Montpellier.
L’article original a été publié sur le site Web de La conversation.