Prix Nobel: pourquoi la France est à la traîne
L’édition 2020 du prix Nobel se termine par celle de l’économie, décerné à deux Américains. Il est la sixième personnalité américaine à obtenir un Nobel scientifique cette année.
La France reste le 4e pays du monde dans le classement du nombre de scientifiques nobélisés, que ce soit par lieu d’affiliation ou par lieu de naissance. Il a bien réussi ces dix dernières années avec sept lauréats dans des domaines scientifiques plus ou moins affiliés à la France.
La France est encore loin de la glorieuse deuxième place qu’elle occupait au début du XXe siècle.e siècle, quand il était juste derrière l’Allemagne. Aujourd’hui, il conserve sa quatrième place, mais risque de la perdre rapidement car la concurrence monte en flèche.
Avec plus de 60 chercheurs lauréats du prix Nobel en sciences – chimie, physique, médecine et sciences sociales – au cours de la dernière décennie, les États-Unis sont en avance sur n’importe quel pays. Loin derrière, le Royaume-Uni (20 prix Nobel) et le Japon (11 prix Nobel), bien devant la France (7 prix Nobel).
Les États-Unis sont plus attractifs
Depuis la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis dominent le monde scientifique. La guerre a conduit à une « fuite des cerveaux » vers les Etats-Unis, qui « ont judicieusement investi dans la science, et en particulier dans les sciences fondamentales », expliquait en 2019 à l’AFP Göran Hansson, secrétaire perpétuel de l’Académie royale des sciences de Stockholm.
Aujourd’hui et en général, les universités américaines produisent une part plus élevée de futurs lauréats du prix Nobel que les universités européennes, explique le Conseil supérieur de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCERS). Ainsi, «plus de 50% des futurs lauréats du prix Nobel ont obtenu leur doctorat dans des institutions américaines» et «près des deux tiers des lauréats étaient basés dans des institutions américaines au moment de la remise du prix».
Manque de budget pour la science
Avec de réelles contraintes budgétaires, la France peine à rester attractive aux yeux de ses scientifiques. En effet, en recherche et développement, l’argent est aussi le nerf de la guerre. En 2018, la France a consacré 2,19% de son PIB à la recherche et au développement, selon dernières statistiques de l’OCDE. C’est moins qu’aux États-Unis avec 2,83% du PIB alloué à la R & D, moins que le Japon (3,28%), moins qu’Israël (4,94%) et moins que la Corée. Sud (4,53%).
En 2019, la France, considérée comme la 7e puissance mondiale en termes de PIB (en dollars américains courants), est uniquement positionné à 13e place par rapport à la part allouée aux dépenses intérieures brutes de recherche et développement.
La Chine a doublé son budget de recherche et développement, passant d’à peine 1% de son PIB en 2000 à 2,14% en 2018, soit 468 milliards de dollars contre 68,4 milliards en France. Ces chiffres sont en parité de pouvoir d’achat (PPA), c’est-à-dire qu’ils prennent en compte les différences de pouvoir d’achat entre les pays.
Mplus de publications, moins d’aura
Le nombre annuel de publications scientifiques de France a augmenté de 40% entre 2000 et 2016, mais, dans le même temps, la France est passée du 5e à 8e place en termes de contributions scientifiques à la production mondiale, explique la HCERES. Aussi, l’impact moyen des publications françaises – lié au nombre de citations de ces publications – est de 10% inférieur à la moyenne mondiale, tandis que les publications américaines sont 30% au-dessus. La Chine a publié plus que la France depuis 2006 mais a moins d’impact international. Pour l’instant, en tout cas.
Cependant, la Chine n’a reçu qu’un seul prix Nobel, en médecine et physiologie, au cours des dix dernières années: la chercheuse Tu Youyou, en 2015, pour ses travaux sur un traitement contre le paludisme. Ce manque de Nobel récompensant les personnalités scientifiques chinoises s’explique par le fait que la Chine ne s’est imposée que récemment en tant que puissance scientifique. « Les Nobels sont souvent attribués à des chercheurs d’un certain âge, la Chine ne dispose pas encore d’un vivier de candidats de marque suffisamment important », souligne le HCERES.
Lire aussi « En France, un chercheur ne peut être promu s’il travaille sur des sujets incorrects »
Il est à noter que la France reste très spécialisée en mathématiques et que cela se reflète dans ses publications. «La part de cette discipline dans les publications françaises est 60% plus élevée que dans toutes les publications mondiales», explique le site de la Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation sur son site Internet dédié aux publications.
Le patron des maths
Pas de chance pour la France, il n’y a pas de prix Nobel de mathématiques. La légende raconte que le compagnon d’Alfred Nobel, fondateur du prix éponyme, avait un amoureux mathématicien, ce qui aurait conduit le scientifique à omettre cette discipline. C’était un ami de l’amant supposé, le mathématicien John Charles Fields, qui créa en 1936 la médaille Fields, l’une des plus prestigieuses reconnaissances de la discipline, décernée tous les quatre ans aux moins de 40 ans. Dans ce jeu, la France est classé 2e dans le monde, avec deux médailles de moins que… les États-Unis.
Pour la Corée du Sud, qui n’a pas encore reçu de prix Nobel malgré une part importante de son PIB consacrée à la recherche, l’explication la plus plausible serait liée à la petite taille du pays, démographiquement parlant. Moins de chercheurs et donc moins de chance d’avoir un candidat gagnant.
Si la Chine et les États-Unis sont bien dotés en nombre de chercheurs – respectivement 1,7 et 1,4 million, selon l’OCDE -, la Corée du Sud en a cinq fois moins. La France dispose d’un pool réduit à moins de 296000 en équivalent temps plein, dont une majorité travaille dans le secteur privé.
Chercheurs mal payés
Manque de budget alloué à la recherche et faible impact des publications scientifiques à l’international… mais aussi et peut-être surtout, la France paie mal ses enseignants-chercheurs. C’est ce que concède la Direction générale du Trésor dans sa publication intitulée » Recherche publique française en comparaison internationale » Avril 2018. Le Trésor souligne «la relative faiblesse de la rémunération des chercheurs statutaires français par rapport aux autres pays». La comparaison faite par la Commission européenne (enquête EKTIS) a montré qu’un enseignant en 2011 recevait un salaire d’entrée annuel brut de seulement 21 711 euros *, soit seulement 63% du salaire d’entrée moyen perçu en Europe et dans les pays de l’OCDE.
Le salaire maximum auquel un chercheur français peut prétendre est d’environ 46 000 euros, ce qui correspond à 91% du salaire annuel maximum moyen européen. L’Insee fixe, quant à lui, le salaire moyen des enseignants-chercheurs de la fonction publique à 3 638 euros.
Lire aussi Médecine: les merveilles de la génétique
Le prix Nobel de chimie 2020, Emmanuelle Charpentier, qui a quitté la France depuis plusieurs années mais qui malgré tout gonfle le prix Nobel côté français, a également relevé ce point noir dans une interview au journal Point en mars 2018. «Les salaires des chercheurs français ne sont pas attractifs par rapport à ceux des autres pays européens. Elle a exhorté le gouvernement français à « reconsidérer leur financement ».
C’est précisément l’ambition de la loi de programmation de la recherche pluriannuelle. Validé en première lecture à l’Assemblée nationale, il sera débattu au Sénat à la fin du mois.
* en parité de pouvoir d’achat